Imaginez un groupe de généraux entourant une ville ennemie. Chacun doit décider simultanément d’attaquer ou de reculer. Mais certains généraux sont traîtres. Ils envoient des messages contradictoires pour semer la confusion. Comment les généraux loyaux peuvent-ils s’entendre sur un plan d’action, sans jamais savoir qui ment ? Ce problème, appelé le problème des généraux byzantins, a été posé en 1982 par des chercheurs en informatique. Et c’est exactement ce que les cryptomonnaies doivent résoudre chaque seconde.
Comment les blockchains évitent les fraudes sans chef
Les systèmes traditionnels, comme les banques, ont un responsable central : une personne ou une entité qui vérifie les transactions. Les cryptomonnaies, elles, n’ont personne. Elles fonctionnent avec des milliers d’ordinateurs répartis dans le monde entier. Chacun pourrait mentir, se tromper, ou être piraté. Alors comment s’assurer qu’une transaction est valide ? La réponse : la tolérance aux pannes byzantines (BFT). C’est un mécanisme qui permet à un réseau de parvenir à un accord, même si jusqu’à un tiers des participants sont malveillants ou en panne. Cela ne veut pas dire qu’ils sont tous honnêtes. Ça veut dire que même si 33 sur 100 nœuds essaient de tricher, les 67 autres peuvent encore décider ensemble ce qui est vrai.Bitcoin a utilisé une approche différente : la preuve de travail. Elle repose sur la puissance de calcul. Pour falsifier une transaction, un attaquant devrait contrôler plus de 50 % de toute la puissance du réseau. C’est très cher. Mais ça n’offre pas de finalité garantie. Une transaction peut être annulée si une branche plus longue de la chaîne apparaît. C’est ce qu’on appelle la finalité probabiliste. Ça marche pour les paiements simples. Mais pas pour les prêts, les échanges décentralisés ou les contrats intelligents où chaque seconde compte.
La différence entre finalité probabiliste et finalité déterministe
Prenons un exemple réel. En mars 2022, un utilisateur sur Bitcoin Talk a perdu 2 350 $ parce qu’une transaction « confirmée » a été annulée après une réorganisation du réseau. Ce n’était pas une erreur humaine. C’était un effet normal du système. Dans un réseau avec finalité probabiliste, rien n’est vraiment définitif avant plusieurs confirmations - et même là, il y a toujours un risque minime.Les blockchains avec BFT, comme Cosmos, Solana ou Avalanche, utilisent la finalité déterministe. Une fois qu’un bloc est validé, il est irréversible. Point final. Pas de réorganisation. Pas de retour en arrière. C’est comme signer un contrat avec un notaire : une fois apposé, il ne peut pas être effacé. Pour les applications financières décentralisées (DeFi), c’est une question de survie. Si un prêt est liquidé parce qu’un prix a été falsifié, ou si une transaction d’échange échoue parce qu’elle a été annulée, les utilisateurs perdent de l’argent. Et ils n’ont personne à qui se plaindre.
En octobre 2023, 78 % des utilisateurs de DeFi ont déclaré dans un sondage de CoinDesk que la certitude que leurs transactions soient irréversibles était leur priorité absolue. Ce n’est pas une question de confort. C’est une question de sécurité.
Comment ça marche en pratique ?
Le premier système BFT réellement mis en œuvre s’appelle PBFT (Practical Byzantine Fault Tolerance). Il fonctionne comme un vote. Chaque nœud envoie un message à tous les autres pour dire : « Je valide ce bloc ». Pour qu’il soit accepté, au moins deux tiers doivent répondre « oui ». Si un tiers ou moins ment, le système ignore leurs votes. C’est mathématique. Pas de subjectivité.Le problème ? PBFT devient lent quand il y a trop de nœuds. À 100 nœuds, les messages se multiplient à l’infini. C’est pourquoi les blockchains modernes ont inventé des variantes. Ethereum, après son passage à la preuve d’enjeu, a ajouté un gadget de finalité appelé Casper FFG. Il combine la sécurité économique de la preuve d’enjeu avec la finalité déterministe du BFT. Résultat ? 99,98 % de finalité en moins de 5 minutes. Un progrès colossal.
Cosmos, lui, utilise Tendermint BFT - un protocole optimisé pour la vitesse et la scalabilité. Il permet à 63 chaînes différentes de communiquer entre elles en moins d’une seconde, avec finalité immédiate. En octobre 2023, plus de 1,2 million de transactions inter-chaînes ont été traitées chaque jour. Sans BFT, ça serait impossible.
Les limites et les pièges
BFT n’est pas une baguette magique. Il a ses défauts. D’abord, il exige une structure rigide : les nœuds doivent être connus à l’avance. C’est pourquoi les blockchains comme Bitcoin ou Dogecoin - qui permettent à n’importe qui de participer - ne peuvent pas utiliser BFT. Elles doivent compter sur la puissance de calcul, pas sur l’identité des participants.Ensuite, la tolérance à un tiers de pannes signifie que si plus de 33 % des validateurs sont corrompus, le réseau s’effondre. C’est une limite mathématique. Certains chercheurs travaillent sur des versions améliorées qui pourraient tolérer plus de pannes, mais pour l’instant, un tiers reste la norme. Et c’est suffisant - tant que les validateurs sont bien répartis géographiquement et ne sont pas contrôlés par un seul acteur.
Les développeurs qui veulent construire sur une blockchain BFT doivent apprendre des concepts complexes. Selon Consensys, il faut environ 120 heures de formation pour bien implémenter un mécanisme BFT. Et les erreurs de synchronisation horaire ou de gestion des validateurs sont parmi les causes les plus fréquentes d’incidents. En 2023, 38 % des pannes sur les blockchains BFT étaient dues à des problèmes d’horloge.
Le BFT est devenu une exigence réglementaire
Ce n’est plus juste une question technique. C’est une question légale. Depuis janvier 2024, la réglementation européenne MiCA oblige toute blockchain qui veut servir d’infrastructure financière à démontrer une tolérance aux pannes byzantines avec une résistance à au moins un tiers de nœuds malveillants. Les banques l’ont compris. Selon IBM, 73 % des projets blockchain dans le secteur bancaire utilisent des variantes de PBFT. Pourquoi ? Parce qu’elles ne peuvent pas se permettre d’avoir des transactions réversibles dans leurs systèmes de règlement.Les grandes entreprises n’investissent pas dans des blockchains qui pourraient s’effondrer sous une attaque coordonnée. Elles veulent des systèmes fiables. Et la seule façon d’assurer cette fiabilité, c’est avec le BFT.
Le futur : plus de BFT, pas moins
En 2020, seulement 42 % des déploiements d’entreprise blockchain exigeaient le BFT. En 2023, ils étaient 67 %. Et ce chiffre continue d’augmenter. Les blockchains sans BFT ne disparaîtront pas - Bitcoin reste populaire. Mais elles vont devenir de plus en plus marginalisées dans les applications où la valeur est élevée, où la confiance est cruciale, où chaque transaction compte.Les innovations continuent. Stanford a présenté un nouveau protocole qui pourrait permettre de maintenir la sécurité même avec seulement 20 % de nœuds honnêtes. Polkadot combine la preuve d’enjeu avec le BFT. Ethereum continue d’améliorer sa finalité. Chaque progrès rend les cryptomonnaies plus solides, plus rapides, plus sûres.
Le BFT n’est pas une fonctionnalité optionnelle. C’est la fondation. Sans lui, les cryptomonnaies ne sont que des logiciels complexes qui peuvent être manipulés. Avec lui, elles deviennent des infrastructures financières fiables, résistantes, et dignes d’être utilisées par des millions de personnes. C’est ce qui sépare les projets qui durent de ceux qui disparaissent.
Qu’est-ce que la tolérance aux pannes byzantines (BFT) ?
La tolérance aux pannes byzantines (BFT) est un mécanisme qui permet à un réseau distribué de parvenir à un accord sur l’état des transactions, même si certains nœuds sont malveillants ou en panne. Il garantit que les nœuds honnêtes peuvent s’entendre, tant que moins d’un tiers des nœuds sont compromis.
Pourquoi Bitcoin n’utilise-t-il pas le BFT ?
Bitcoin utilise la preuve de travail, qui repose sur la puissance de calcul pour sécuriser le réseau. Il n’a pas besoin de connaître l’identité des nœuds, donc il ne peut pas utiliser les systèmes BFT classiques qui nécessitent des validateurs identifiés. Sa sécurité repose sur le coût élevé d’une attaque, pas sur une finalité immédiate.
Quelle est la différence entre finalité déterministe et finalité probabiliste ?
La finalité déterministe signifie qu’une transaction est irréversible dès qu’elle est validée. La finalité probabiliste signifie qu’une transaction devient de plus en plus sûre avec le temps, mais qu’elle peut encore être annulée dans de rares cas, comme lors d’une réorganisation de la chaîne. Le BFT fournit la première ; la preuve de travail fournit la seconde.
Les blockchains BFT sont-elles plus sécurisées que les autres ?
Oui, pour les applications à haute valeur. Le BFT garantit que même avec des nœuds malveillants, le réseau continue de fonctionner correctement. Cela rend les attaques beaucoup plus difficiles et coûteuses. Mais la sécurité dépend aussi de la mise en œuvre : un mauvais BFT peut être plus vulnérable qu’un bon système de preuve de travail.
Quelles cryptomonnaies utilisent le BFT ?
Cosmos, Solana, Avalanche, Hedera, Polygon, et Ethereum (après le passage à la preuve d’enjeu) utilisent des variantes de BFT. Ces réseaux offrent une finalité déterministe, ce qui les rend idéaux pour le DeFi, les paiements rapides et les contrats intelligents critiques.
Le BFT peut-il être piraté ?
Théoriquement, oui - si plus d’un tiers des validateurs sont contrôlés par un même acteur malveillant. Mais dans la pratique, c’est extrêmement difficile. Cela nécessiterait de détenir ou de corrompre des centaines de nœuds répartis dans le monde, souvent avec des exigences techniques strictes. Les réseaux bien conçus rendent cette attaque économiquement inviable.