En 2025, l’Iran est l’un des rares pays au monde où le minage de crypto-monnaie n’est pas interdit - mais où il est devenu un outil de guerre économique contrôlé par l’État. Ce n’est pas une activité de particuliers ou d’entreprises privées. C’est un système organisé, protégé et financé par les institutions du régime, en particulier la Garde révolutionnaire islamique (IRGC), pour contourner les sanctions occidentales. Et derrière ce système, il y a des centrales électriques à bout de souffle, des citoyens sans courant pendant des jours, et des milliards de dollars qui fuient hors du système bancaire traditionnel.
Comment l’Iran est devenu un géant du minage
En juillet 2018, le gouvernement iranien a légalisé le minage de crypto-monnaie. À l’époque, c’était une décision pragmatique : les banques internationales refusaient de traiter les transactions iraniennes, et le rial s’effondrait. Le minage de Bitcoin, Ethereum et d’autres actifs numériques offrait une voie pour convertir de la valeur en devises étrangères sans passer par les banques. Ce n’était pas encore un projet d’État. Mais en 2019, tout a changé. La Garde révolutionnaire islamique, avec le soutien du Guide suprême Ali Khamenei, a commencé à investir massivement dans des fermes de minage. Avec l’aide d’investisseurs chinois, ils ont construit des installations de plusieurs mégawatts dans des zones isolées, souvent sur des bases militaires ou dans des zones économiques spéciales. Le plus célèbre : une ferme de 175 mégawatts à Rafsanjan, dans la province de Kerman. Là, l’électricité coûte 0,004 centime par kWh - soit 50 fois moins que le prix moyen mondial. C’est comme avoir une centrale électrique gratuite pour miner du Bitcoin. Par 2022, l’Iran représentait 4,5 % de la puissance totale de minage mondial de Bitcoin, selon l’Université de Cambridge. Il était le troisième plus grand mineur au monde, derrière les États-Unis et le Kazakhstan. Mais contrairement à ces pays, où les mineurs sont des entreprises privées, en Iran, les plus grandes fermes appartiennent à des entités liées à l’armée et au clergé.Le système clandestin : où l’État mine en toute impunité
Ce qui rend le minage iranien si particulier, c’est qu’il existe deux systèmes : l’un légal, l’autre illégal - mais tous deux contrôlés par l’État. Les mineurs « légaux » doivent obtenir une licence du ministère de l’Industrie, des Mines et du Commerce. Ils doivent payer 7 cents par kWh d’électricité, utiliser du matériel approuvé par le gouvernement, et se soumettre à des audits. Mais ce matériel est moins efficace, et les coûts sont plus élevés. Résultat : les petites entreprises et les particuliers ne peuvent pas rivaliser. Beaucoup abandonnent. Pendant ce temps, les fermes de l’IRGC et des fondations religieuses comme Astan Quds Razavi fonctionnent en toute impunité. Elles utilisent du matériel moderne, paient presque rien pour l’électricité, et n’ont aucune obligation de déclarer leurs revenus. Certaines opérations sont cachées dans des lieux improbables. En mai 2025, les autorités ont découvert une ferme de minage de 16 hectares sous un complexe sportif à Ahvaz - dans les tunnels sous une piste de cyclisme et dans les salles techniques. Elle fonctionnait depuis plus de deux ans sans être détectée. Ces opérations ne sont pas seulement illégales : elles sont protégées. Des rapports de la Résistance nationale iranienne (NCRI) décrivent un « cartel de crypto » qui détourne l’électricité nationale pour générer des profits privés. Et quand il y a des coupures de courant - et il y en a souvent - ce sont les foyers, les hôpitaux, les usines qui en paient le prix.La crise énergétique, un effet secondaire délibéré
L’Iran souffre d’une crise énergétique chronique. Les étés sont torrides, les hivers froids, et le réseau électrique est obsolète. En 2024, pendant une vague de chaleur record à Téhéran, certains quartiers ont été sans électricité pendant 14 heures d’affilée. Pendant ce temps, des témoins sur Twitter ont signalé que les fermes de minage continuaient de fonctionner. Les chiffres sont effrayants. En 2023, les capacités totales de minage en Iran dépassaient 1 000 mégawatts - l’équivalent de la consommation d’une ville de 1 million d’habitants. Et ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Des experts estiment que la moitié de cette puissance est utilisée par des opérations non déclarées. Les citoyens en ont assez. Sur Reddit, dans la communauté r/Iran, des milliers de personnes ont partagé des témoignages : des usines fermées, des réfrigérateurs vides, des enfants sans climatisation pendant les nuits les plus chaudes. Et chaque fois, la même question : « Pourquoi eux ont de l’électricité, et nous pas ? »
Le gouvernement veut contrôler, mais pas arrêter
En 2025, le gouvernement a essayé de reprendre le contrôle. Il a imposé une taxe sur les gains en crypto-monnaie - la première du genre en Iran. Il a interdit toute publicité pour les crypto-monnaies, en ligne ou en dehors. Il a obligé les échanges locaux à connecter leurs systèmes à une API gouvernementale pour surveiller chaque transaction. Mais il ne veut pas arrêter le minage. Il veut le dominer. Le Centre de la Banque d’Iran a même lancé un projet de crypto-monnaie nationale, le « rial électronique », qui serait une version numérique du rial, contrôlée par l’État. Ce n’est pas une monnaie décentralisée. C’est un outil de surveillance. Le paradoxe est total : d’un côté, le gouvernement veut taxer les mineurs, les surveiller, les encadrer. De l’autre, il protège les plus gros mineurs - ceux qui lui rapportent des devises étrangères, hors du système bancaire international. Il ne peut pas se passer du minage. Mais il ne veut pas non plus qu’il échappe à son contrôle.Les sanctions frappent, et les crypto-monnaies réagissent
En juillet 2025, Tether - la société qui émet le USDT, la stablecoin la plus utilisée au monde - a gelé 42 adresses liées à l’Iran. C’était le plus gros gel de fonds iraniens de l’histoire. Les adresses étaient connectées à Nobitex, le plus grand échange local, et à des portefeuilles liés à l’IRGC. Cela a créé une crise. Les Iraniens qui utilisaient le USDT pour acheter des biens ou envoyer de l’argent à l’étranger se sont retrouvés bloqués. La réponse du gouvernement ? Encourager les gens à passer au DAI, une autre stablecoin, sur le réseau Polygon. Pourquoi ? Parce que Polygon est plus difficile à surveiller, et que le DAI est moins centralisé que le USDT. C’est une stratégie de survie. L’Iran ne peut plus compter sur les banques. Il ne peut plus compter sur les paiements internationaux. Il doit donc construire un écosystème financier parallèle - et les crypto-monnaies sont devenues sa colonne vertébrale.
Qui gagne ? Qui perd ?
Qui gagne avec ce système ? Les élites du régime. L’IRGC, les fondations religieuses, les entreprises liées au pouvoir. Elles ont accès à l’électricité gratuite, aux devises étrangères, et à la protection juridique. Elles peuvent miner du Bitcoin et le vendre en Turquie, en Russie ou en Chine, sans être inquiétées. Qui perd ? Les Iraniens ordinaires. Les familles qui n’ont pas de courant pour faire fonctionner leurs réfrigérateurs. Les entrepreneurs qui ne peuvent pas alimenter leurs ateliers. Les mineurs légaux qui paient 7 cents par kWh et se font concurrencer par des fermes qui paient 0,004 centime. Et les autorités internationales ? Elles ne peuvent pas bloquer le minage directement. Les serveurs sont physiquement en Iran. Mais elles peuvent bloquer les portefeuilles, les échanges, les transactions. C’est pourquoi les freezes de Tether ont eu un impact si fort.Que va-t-il se passer ensuite ?
En 2025, l’Iran est à un carrefour. D’un côté, il a construit un système de minage qui lui permet de survivre aux sanctions. De l’autre, ce système détruit son infrastructure énergétique, alimente la colère populaire, et attire des sanctions financières de plus en plus ciblées. Les experts estiment que la stratégie actuelle n’est pas durable. Le minage étatique n’est pas une solution économique - c’est une solution de survie. Et les solutions de survie ne durent pas éternellement. D’ici 2026, deux scénarios sont possibles. Soit le régime renforce encore son contrôle, crée un système de crypto-monnaie nationale, et isole complètement son économie numérique. Soit la pression énergétique devient insoutenable, les coupures s’aggravent, et la population exige un changement. Dans les deux cas, le minage de crypto-monnaie restera au cœur du pouvoir iranien. Mais il ne sera plus seulement une activité économique. Il sera un symbole - du contrôle, de la corruption, et de la résilience d’un État qui refuse de se plier.Pourquoi l’Iran autorise-t-il le minage de crypto-monnaie alors qu’il y a des pénuries d’électricité ?
L’Iran autorise le minage parce qu’il sert un objectif politique plus important : contourner les sanctions occidentales. Le minage permet de convertir des actifs numériques en devises étrangères sans passer par les banques internationales, qui refusent de traiter les transactions iraniennes. Même si cela cause des coupures, le régime considère que le gain en devises étrangères est plus crucial que la stabilité du réseau électrique pour la population.
Qui possède les fermes de minage en Iran ?
Les plus grandes fermes sont contrôlées par la Garde révolutionnaire islamique (IRGC) et des fondations religieuses comme Astan Quds Razavi. Ces entités bénéficient d’un accès prioritaire à l’électricité subventionnée, de protections juridiques, et d’infrastructures militaires. Les mineurs privés légaux existent, mais ils sont minoritaires et confrontés à des coûts beaucoup plus élevés.
Le minage en Iran est-il légal pour les particuliers ?
Techniquement, oui - mais seulement si vous obtenez une licence du ministère de l’Industrie, payez 7 cents par kWh, et utilisez du matériel approuvé. En pratique, c’est presque impossible pour un particulier. Les coûts sont trop élevés, les délais trop longs, et la concurrence des fermes étatiques est insurmontable. La plupart des particuliers qui minent le font illégalement, sans licence, et risquent des amendes ou la confiscation du matériel.
Pourquoi Tether a-t-il gelé des adresses iraniennes en 2025 ?
Tether a gelé 42 adresses liées à l’Iran parce qu’elles étaient connectées à des portefeuilles de l’IRGC et à Nobitex, le plus grand échange local. Ces adresses avaient déjà été signalées par des agences de lutte contre le financement du terrorisme comme TRM Labs. Ce gel était une mesure pour empêcher les transactions de crypto-monnaie de servir à contourner les sanctions internationales. C’était le plus gros gel de fonds iraniens jamais effectué.
Le rial électronique va-t-il remplacer les crypto-monnaies en Iran ?
Non, pas pour le moment. Le rial électronique est une monnaie numérique contrôlée par la Banque centrale - c’est un outil de surveillance, pas une alternative décentralisée. Les Iraniens continuent d’utiliser le Bitcoin, l’Ethereum et les stablecoins comme le USDT et le DAI parce qu’ils sont plus stables, plus accessibles à l’étranger, et plus difficiles à contrôler. Le rial électronique vise à surveiller les transactions, pas à les remplacer.